Par Lise Abraham et Valentine Aoustin (Étudiantes en Master 1 MISAC de l’université de Nantes, stagiaires au Centre François Vète dans le cadre du programme Data Santé)

Le concept dit « One Health » ou « Une Seule Santé » en français, est une approche pluridisciplinaire qui englobe des questions humaines, environnementales et animales dans le but de créer une meilleure santé pour tous. La transdisciplinarité est au cœur même de ce concept qui est notamment utilisé dans la lutte contre les zoonoses et l’antibiorésistance, deux enjeux mondiaux majeurs.

Déjà théorisée par Hippocrate au IVème siècle avant JC[1], cette idée d’interdépendance entre santé humaine et animale réapparaît au XIXe siècle[2], de même qu’une collaboration très étroite entre vétérinaires et médecins, en vue d’améliorer la compréhension des maladies humaines et animales. Cette collaboration sera nommée dans un premier temps « One Medicine », puis plus tard « One World, One Health » et enfin « One Health » avec la création de l’alliance tripartite en 2010 entre l’OMS[3], l’OIE[4] et la FAO[5], ensuite rejointes par la PNUE[6].

Cette thématique très convoitée, dans la mesure où elle guide des démarches de prévention, s’accompagne désormais d’importantes collectes de données.

 

  • Une thématique de plus en plus convoitée

En constante évolution, l’approche One Health est de plus en plus conceptualisée et devient un nouveau sujet d’étude pour les chercheurs du monde entier. Depuis 1990, les articles et les recherches faites dans ce domaine ne cessent de se développer et cela dans toutes les langues ; la pandémie de Covid-19 a, ces deux dernières années, amplifié les investigations et débats sur le sujet du One Health.

Cette approche se doit d’être locale, au niveau d’un pays, mais également internationale pour permettre alors l’émergence d’idées transcendantales[7]. Une collaboration active entre agences gouvernementales et des projets sur le One Health s’est intensifiée[8] et la mention du concept s’est également multipliée sur les sites officiels tels que ceux de la FAO, l’OIE, l’OMS, ou encore l’Anses[9].

De nouvelles formations créées par des instituts ou universités favorisent de plus en plus le One Health. À titre d’exemple, une approche mixte développée par les bibliothécaires de l’université du Texas[10], qui a pour objectif de créer une approche dite par « couche », permet de rassembler plusieurs thèmes de différentes disciplines. Cette méthode fournit des informations plus complètes et pertinentes ; les bibliothécaires se transforment en coordinateurs multidisciplinaires pour les étudiants et facilitent alors l’échange des données entre, par exemple, les études vétérinaires et les études de médecine. Proposer la possibilité de suivre un cursus mêlant à la fois savoir médical et vétérinaire permettrait ainsi de sensibiliser au One Health dès la formation initiale[11]. Cela favoriserait la recherche et par conséquent la mutation des connaissances dans les disciplines.

 

  • Les datas comme moyen de recherche et d’action

Le concept de One Health est aujourd’hui avant tout utilisé à des fins de recherches. Ainsi, comme pour tout travail scientifique, des données sont nécessaires. A titre d’exemple, les études sur les maladies infectieuses à caractère zoonotique[12] comme Ebola, la brucellose ou plus récemment le Covid-19, constituent l’un des sujets majeurs liés au One Health et appellent à une quantification des données[13] [14]. En étudiant les caractéristiques démographiques, les pratiques d’une population ciblée, les connaissances à propos d’un virus, mais aussi son environnement et en relevant des données sur les animaux de la région étudiée, les scientifiques peuvent déterminer la source et l’ampleur d’une maladie. Ainsi, on sait par exemple que le virus Nipah, en Asie du Sud, fut transmis par des chauve-souris fuyant leur habitat incendié. La forêt dans laquelle ces dernières vivaient ayant en effet subi un programme de déforestation, ces chauve-souris se seraient approchées de zones habitées et auraient contaminé un élevage de porcs. Par voie de conséquence, les hommes en contact avec leur bétail ont par la suite contracté ce virus, responsable d’épidémies. Ce genre de conclusion n’a été possible qu’avec la collecte de données. Bien que le virus Nipah se soit développé depuis le début des années 2000 dans plusieurs régions d’Asie, la méthode One Health a permis aux disciplines de collaborer et donc de rassembler leurs données[15].

Si certaines études malgré leurs thématiques ne s’inscrivent pas explicitement dans la démarche réflexive du One Health, d’autres le revendiquent clairement. Au Rwanda par exemple, afin d’améliorer l’accès à l’eau et sa qualité, un sondage a été effectué auprès de la population, afin de déterminer quelle région était la plus touchée par le manque d’accès à l’eau potable et à l’hygiène. Ce genre d’évaluation a permis de mettre en évidence la pauvreté des infrastructures sanitaires et la difficulté de se procurer de l’eau saine pour les habitants et les animaux du district de Gatsibo, à l’Est du pays [16]. Cette étude publiée en 2022 intitulée «A One Health evaluation of water, sanitation, and hygiene (WASH) services in Butaro Sector, Rwanda» mentionnait explicitement le syntagme désignant cette approche. Autre exemple, un article de 2021 portant sur l’antibiorésistance et la nécessité de réguler l’usage des antibiotiques, appelle à quantifier l’impact des sources environnementales, animales et humaines « avec une perspective One Health ». Cet article, résultat d’une étude, propose donc un cadre d’évaluation pour relever des données liées à l’antibiorésistance et réitère le « besoin de collecter des données de haute qualité relatives aux usages d’antibiotiques, à l’hygiène et aux bactéries résistantes aux médicaments », un autre thème majeur du concept One Health[17].

Comme indiqué plus haut, tout article publié à la suite de recherches, bien que portant sur des thématiques dites «One Health», ne mentionne pas l’approche explicitement. Mais, puisque ceux-ci apparaissent dans la revue scientifique en accès libre One Health Outlook[18], nous pouvons les considérer comme des travaux utilisant le concept, contribuant ainsi à le consolider. Sur le site internet du BioMed Central[19], éditeur scientifique britannique en accès libre, la majeure partie des articles en ligne donnent à voir les données exploitées. Que ce soit à propos du Covid-19[20] ou des pathogènes d’origine alimentaire [21] [22], les études publiées sur le One Health Outlook confirment la nécessité de recueillir des données pour faire avancer les connaissances liées aux enjeux auxquels le monde actuel est confronté.

Même si la recherche occupe une part importante du champ d’action du One Health, la mise en pratique de ce concept concerne aussi la surveillance. En cela, le concept One Health appelle à la création de bases de données, qui, grâce aux nouvelles technologies, semblent se montrer efficaces pour éviter toute épidémie. Aux Etat-Unis par exemple, le réseau PulseNet[23] permet de détecter des risques épidémiques liés à l’alimentation grâce au séquençage du génome des bactéries. Il constitue une base de données des ADN de nombreux agents pathogènes recueillis dans la nourriture, dans l’environnement ou chez des personnes tombées malades, comme les bactéries de type Escherichia coli, la Salmonella ou encore la Shigella. A partir de ces données, les laboratoires médicaux et de régulation alimentaire affiliés à PulseNet comparent le génome bactérien d’un patient à ceux contenus dans la base de données et peuvent ainsi déterminer le type de bactérie présent chez le patient. Grâce à cette méthode, PulseNet peut détecter précocement un risque d’épidémie liée à la nourriture, ce qui permet d’agir à temps afin de limiter le nombre de personnes infectées. Lorsqu’une maladie est identifiée, des équipes de chercheurs en épidémiologie, la Food and Drug Administration[24] mais aussi des services d’inspection et de sécurité alimentaire travaillent ensemble pour trouver l’origine de la bactérie et ainsi pouvoir alerter les consommateurs de la contamination d’un produit, puis le retirer des ventes. Mis en place depuis 1996, le réseau PulseNet contient plus d’un demi-million d’empreintes et ne cesse de se développer. Il aurait à ce jour rappelé plus d’un milliard de produits alimentaires contaminés et permis, en plus de sauver des vies, d’améliorer les normes sanitaires de certains aliments comme le bœuf, les graines oléagineuses ou encore les produits transformés. Les données, en accord avec l’esprit du One Health, rendent possible une telle surveillance, traitant ainsi le problème à la racine. Aujourd’hui, chaque pays ou presque est affilié à un PulseNet local, à l’échelle d’un continent le plus souvent[25].

Par ailleurs, afin d’optimiser la recherche à partir du One Health, des projets développent des outils pour bien utiliser les données. C’est le cas de l’initiative Orion, pour «One Health Surveillance Initiative on harmonization of data collection and interpretation»[26], l’un des nombreux projets lancés par le One Health European Joint Project. Ce partenariat de quarante-quatre laboratoires et instituts de recherches européens réalise des avancées sur les thématiques touchant au One Health, organise chaque année un congrès et forme des chercheurs et étudiants à la thématique. L’initiative citée plus haut a permis la rédaction d’un guide, le One Health Surveillance Codex[27], destiné à orienter les acteurs des secteurs vétérinaires, de la santé publique, ou encore de la sécurité alimentaire. Cette ressource leur permet à la fois d’harmoniser et d’interpréter les données liées à la surveillance pour ainsi mieux les exploiter. De la même manière, la Checklist for One Health Epidemiological Reporting of Evidence, ou COHERE[28], vise à améliorer la qualité des rapports d’études en épidémiologie, notamment en incitant à collecter et intégrer des données qualitatives et quantitatives des trois piliers fondamentaux du concept (santé environnementale, humaine et animale). Ce genre de guides confirme la nécessité et le besoin de recueillir des données de qualité, de bien les référencer, rendant possible une structuration plus précise de celles-ci.

Que ce soit à des fins de recherche, pour prévenir ou pour constater l’ampleur d’une maladie, le One Health appelle à collecter des données. La création de bases de données à grande échelle, lorsque cela est opportun et possible, permet d’améliorer les analyses systémiques et d’envisager des politiques efficaces de prévention plus efficaces.

 

[1] DUHAMEL Stéphanie, « One Health – Une seule santé, évaluation d’une approche intégrée en santé | AFD – Agence Française de Développement », Avril 2021, vol. 64, p. 73 [en ligne] < https://www.afd.fr/fr/rt64_one_health_evaluation_approche_integree_sante_duhamel > [consulté le 28 mars 2022]

[2] BRESALIER Michael, CASSIDY Angela, et WOODS Abigail, In One health, une seule santé : Théorie et pratique des approches intégrées de la santé, « Chapitre 1 – One Health dans l’histoire », 17 mai 2021, p. 21 ‑ 40, [en ligne] < http://books.openedition.org/quae/35920 > [consulté le 28 mars 2022]

[3] Organisation Mondiale de la Santé

[4] Organisation mondiale de la santé animale

[5] Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

[6] Programme des Nations Unies pour l’Environnement

[7] Réseau Îsée, « #1. Inscrire les politiques locales dans une démarche « Une seule santé », [en ligne] < https://www.youtube.com/watch?v=diV4yqNI7X0 > [consulté le 28 mars 2022]

[8] WHO’s WHO in One Health – One Health Comission [en ligne] < https://www.onehealthcommission.org/en/resources__services/whos_who_in_one_health/ >, [consulté le 28 mars 2022]

[9] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

[10] PEPPER Catherine, CARRIGAN Esther, SHURTZ Suzanne, FOSTER Margaret J, « Exploring Librarian Roles in Support of One Health », Journal of Agricultural & Food Information, 18 octobre 2013, vol. 14, n° 4, p. 321-333 [en ligne], < https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10496505.2013.826582 > [consulté le 28 mars 2022]

[11] CHADDOCK Michael, « Academic veterinary medicine and One Health education: it is more than clinical applications » Journal of Veterinary Medical Education, 1 janvier 2012, vol. 39, n° 3, p. 241 – 246 [en ligne] < https://jvme.utpjournals.press/doi/10.3138/jvme.0612-062 > [consulté le 28/03/2022]

[12] Maladie infectieuse des animaux vertébrés transmissible à l’être humain. (définition du Nouveau Petit Robert, édition de 1993).

[13] CUNNINGHAM Andrew A., DASZAK Peter, L.N. WOOD James. « One Health, emerging infectious diseases and wildlife: two decades of progress? » Philosophical Transactions: Biological Sciences B, 2017, vol. 372, no 1725, p. 1‑8, [en ligne] < http://www.jstor.org/stable/44679365 > [consulté le 28/03/22]

[14] MLIGO Belinda Joseph, SINDATO Calvin, YAPI Richard B., MATHEW Coletha, M. MKUPASI Ernatus, R. KAZWALA Rudovick, D. KARIMURIBO Esron D. « Knowledge, attitude and practices of frontline health workers in relation to detection of brucellosis in rural settings of Tanzania: a cross-sectional study ». One Health Outlook, 4 janvier 2022, vol. 1, [en ligne] < https://doi.org/10.1186/s42522-021-00056-5 > [consulté le 28/03/22]

[15] MONIL Singhai, JAIN Ruchi, JAIN Sarika, BALA Manju, SINGH Sujeet, GOYAL Rajeev, « Nipah Virus Disease: Recent Perspective and One Health Approach ». Annals of Global Health, 2021, vol. 87, p.102, [en ligne] < https://doi.org/10.5334/aogh.3431 > [consulté le 28 mars 2022].

[16] L. COUGHLIN Laura, M. SCHURER Janna, UMUBYEYI Carene, SIJENYI Salome, ARIF Khurram, UMUHUIRE NIYONKURU Vivianne, BYIRINGIRO Emmanuel, LUTZ Naomi, KORUKIRE Noel, MURCOTT Susan, J. AMUGUNI Hellen, « A One Health evaluation of water, sanitation, and hygiene (WASH) services in Butaro Sector, Rwanda, Journal of Water, Sanitation and Hygiene for Development, IWA Publishing, 18/02/2022 [en ligne] < https://iwaponline.com/washdev/article/doi/10.2166/washdev.2022.204/87070/A-One-Health-evaluation-of-water-sanitation-and >[consulté le 10/03/2022].

[17] OPATOWSKI Lulla, OPATOWSKI VONG Sirenda, TEMIME Laura, « A One-Health Quantitative Model to Assess the Risk of Antibiotic Resistance Acquisition in Asian Populations: Impact of Exposure Through Food, Water, Livestock and Humans ». Risk Analysis, 2021, vol. 41, n° 8, , p.1427‑1446, [en ligne] < https://doi.org/10.1111/risa.13618 > [consulté le 28/03/22].

[18] BioMed Central. « One Health Outlook », [en ligne] < https://onehealthoutlook.biomedcentral.com/ > [consulté le 28/03/22].

[19]Site du BioMed Central [en ligne] < https://www.biomedcentral.com/ > [consulté le 28/03/22]

[20] FOLAJIMI O. Shorunke, C. OKOLOCHA Emmanuel, S. KIA Grace, USMAN Aishat, AKANO Oluseyi, J.AWOSANYA Emmanuel, « Prevalence and risk factors associated with SARS-CoV-2 infections among veterinary practitioners and dogs patients, June-August 2020, Lagos, Nigeria », One Health Outlook, 24/03/2022, [en ligne] < https://doi.org/10.1186/s42522-022-00062-1 > [consulté le 28/03/22]

[21] BABATUNDE Odetoyin, OGUNDIPE Olawumi, ONANUGA Adebola, « Prevalence, diversity of diarrhoeagenic Escherichia coli and associated risk factors in well water in Ile-Ife, Southwestern Nigeria », One Health Outlook, 8 février 2022, [en ligne] < https://doi.org/10.1186/s42522-021-00057-4 > [consulté le 28/03/22]

[22] DINAOL Belina, HAILU Yonas, GOBENA Tesfaye, HALD Tine, MURIGU KAMAU NJAGE Patrick, « Prevalence and epidemiological distribution of selected foodborne pathogens in human and different environmental samples in Ethiopia: a systematic review and meta-analysis », One Health Outlook, 3 septembre 2021, [en ligne] < https://doi.org/10.1186/s42522-021-00048-5 > [consulté le 28/03/22].

[23] PulseNet, [en ligne] < https://www.cdc.gov/pulsenet/about/index.html >, [consulté le 23/03/22].

[24] L’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments.

[25] PulseNet International, [en ligne] < https://pulsenetinternational.org/international/ > [consulté le 28/03/22]

[26] « ORION – One Health EJP », [en ligne] <https://onehealthejp.eu/jip-orion/> [consulté le 28/03/22]

[27]FILTER Matthias, BUSCHHARDT Tasja, DÓREA Fernanda, LOPEZ DE ABECHUCO Estibaliz, GÜNTHER Taras, SUNDERMANN Esther M, GETHMANN Jörn, DUPS-BERGMANN Johanna, LEGESEN Karin, ELLIS-IVERSEN Johanne, One Health Surveillance Codex: Promoting the Adoption of One Health Solutions within and across European Countries, 12 juin 2021, [en ligne] https://doi.org/10.1016/j.onehlt.2021.100233, [consulté le 28 mars 2022]

[28]DAVIS Meghan F, RANKIN Shelley C, SCHURER Janna M, COLE Stephen, CONTI Lisa, RABINOWITZ Peter, « Checklist for One Health Epidemiological Reporting of Evidence (COHERE) » Science Direct, 17 juillet 2017, pp. 14‑21, [en ligne] https://doi.org/10.1016/j.onehlt.2017.07.001 [consulté le 28/03/2