Par Béatrice Desvergne (Médecin, Professeure au Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne)

La récolte des données de santé doit être considérée dans deux contextes différents, celui du soin et celui de la recherche, que presque tout oppose :
– La nature des données : très spécifique dans le soin, très ouverte et la plus exhaustive possible dans la recherche ;
– Les utilisateurs des données : le soignant dans le cadre de sa relation privilégiée avec le soigné dans le soin, le chercheur sans aucun lien avec le soigné souvent avec l’intermédiaire d’une organisation complexe (telle que les biobanques) ;
– L’utilisation des données : pour un usage immédiat précis et anticipé pour le diagnostic et/ou pour le traitement du patient dans le cadre du soin, pour un usage sans bénéfice direct et immédiat au patient dans le cadre de la recherche ;
– Le consentement à donner ses données : tacite dans le cadre la relation du soin, nécessitant un consentement éclairé et formel dans le cadre de la recherche.

Alors pourquoi avec les approches génomiques parle-t-on d’effacement entre la recherche et le soin ? Pour la première fois, le chercheur peut avoir accès à des données spécifiquement humaines, obtenues de façon non invasive, et en grande quantité. Et l’homme est bien le meilleur modèle pour étudier l’homme ! Ces données génétiques génèrent des données massives. Il reste donc un travail énorme à faire pour identifier quelles sont les différences génétiques entre deux individus qui sont susceptibles d’impacter la santé. Un tel travail ne peut se faire que si les analyses peuvent être conduites à l’échelle d’une population et non de quelques individus. Ainsi, tout patient mais aussi tout citoyen en bonne santé est potentiellement important pour cette recherche.
Or ces mêmes données sont déjà utiles aux soins, dans des cas précis et notamment dans les maladies rares, dans le traitement du cancer, ou dans le choix et le dosage de certains médicaments.

En y ajoutant les volontés politiques et institutionnelles de tourner la recherche vers une utilité quasi immédiate, l’effacement de la frontière entre soins et recherche semble s’imposer. Mais cela est-il vraiment nécessaire ? ou est-ce un oreiller de paresse pour faciliter cette récolte de données qui nécessite l’adhésion de tant de gens ?
Dans ce contexte, il me paraît essentiel de clarifier vis-à-vis du public ce qui est recherche et ce qui est soin. Le consentement éclairé, bien que très difficile à réaliser au vu de la complexité de la recherche, doit rester une exigence en toutes circonstances.

Dans le même état d’esprit, et comme aussi souligné par Margo Bernelin, il faut savoir rester transparent entre promesses pour demain et réalités aujourd’hui. Ainsi, je suis d’accord avec David Geneviève que les nouvelles approches génomiques en médecine sont une véritable disruption entraînant un changement dramatique pour les soins et la santé, mais je restreindrais cet optimisme au cas des maladies monogéniques. Dans le cadre des maladies complexes survenant chez l’adulte, telles que le diabète ou les problèmes cardiovasculaires, je suis beaucoup moins optimiste, et ce n’est de toute façon pas le cas aujourd’hui. Peut-être dans dix ans selon les fruits de la recherche, mais peut-être pas. Comme l’a souligné Marine Carrère, on a aussi cru que la biologie moléculaire allait nous permettre de comprendre les maladies, toutes les maladies. Mais force est de constater que cela n’a pas été le cas. Une même désillusion, relative certes, n’est pas à exclure avec la médecine génomique pour ce qui concerne les maladies complexes.

L’intelligence artificielle entretient cet espoir de progrès majeurs. Mais ce n’est qu’une aide et elle ne peut à elle seule transformer nos incertitudes en certitudes. La dépendance vis-à-vis de l’IA des développements dans le domaine de la santé ouvre tout un nouveau champ de réflexion et besoin de vigilance pour l’usage de nos données de santé dans le futur !

Texte issu de la Table ronde « Les données et la santé : passé, présent… futur ? » du 23 avril 2021, en vidéoconférence, organisée par le programme DataSanté.
Congrès de la Société française d’histoire des sciences et des techniques Montpellier, 21 – 23 avril 2021 (voir plus d’informations).