Par Sonia Desmoulin (Chargée de Recherche, UMR 6297 Droit et changement social CNRS/Université de Nantes)

Le 16 mars 2020, la population française se voyait imposer un régime de restrictions drastiques des libertés publiques, afin de limiter la propagation du virus SARS-Cov-2. Le 24 mars 2020, la France entrait dans un nouveau régime d’exception : « l’état d’urgence sanitaire », prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 par la loi du 11 mai 2020 et réactivé à l’automne par un décret du 14 octobre 2020, avant qu’une loi du 14 novembre 2020 n’en autorise la prorogation.
Ce n’est pas la première fois qu’une « crise » sanitaire met à l’épreuve le système de santé et fait évoluer le droit. Il est souvent rappelé que les effets de la grippe espagnole de 1918 aurait conduit à la création du premier ministère de la santé en 1920 ou que la création puis les réformes des agences sanitaires et des systèmes de vigilance seraient la conséquence des affaires et « scandales » successifs du « sang contaminé », de la « vache folle » ou du Mediator. Pour faire face aux « menaces sanitaires de grande ampleur », la France avait d’ailleurs adopté deux importantes lois (Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et Loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur) dont les dispositions combinées conféraient de larges pouvoirs au ministre de la santé pour adopter des « mesures d’urgence » proportionnées et temporaires.
Les dispositions adoptées en mars 2020 constituent-elles une nouvelle mouture de ces textes du droit de la santé publique visant à endiguer la propagation des épidémies et à limiter leurs effets sanitaires ou relèvent-elles d’un autre registre ? Deux constats conduisent à se poser sérieusement la question. Le premier a trait aux atteintes sans précédents aux droits et aux libertés. Le second a trait aux moyens juridiques employés pour justifier ces atteintes et à la posture des juges en charge de contrôler le pouvoir. En complément de ces deux points, la présente intervention veut aussi étudier la question de la justification des mesures adoptées, pour mieux comprendre si les craintes d’une fragilisation durable de l’ordre juridique sont réalistes ou non.

Texte issu d’un webinaire ayant eu lieu le 14/12/2020 (voir plus d’informations).