Par Armelle Grenouilloux (Médecin psychiatre, chercheure associée du Centre François Viète en philosophie de la médecine, Université de Nantes)

La Pandémie de Covid19 bouleverse toutes les institutions et directement ou indirectement, à des degrés divers, la quasi-totalité des individus de par le monde.
Ses effets péjoratifs sur l’état psychique des personnes soignées pour pathologies psychiatriques ainsi que les impacts nocifs sur la santé mentale des populations sont d’ores et déjà attestés.
Or si la rencontre des sciences humaines et sociales et de la médecine visant l’amélioration des soins et de la santé, aujourd’hui centrée sur le traitement des data, suppose un long travail d’acculturation transdisciplinaire, le champ de la pathologie psychiatrique et de la santé mentale en fournit un terreau essentiel.
Essentiel au regard du poids de la psychiatrie et de la santé mentale dans les dépenses de santé (premier poste de dépense de l’assurance maladie avec 19,3 milliards d’euros, deuxième cause d’arrêt maladie, première cause d’invalidité) essentiel -corrélativement- en termes de prévalence (les maladies mentales touchent chaque année 1 personne sur 5 et au cours de la vie une personne sur 3), essentiel, enfin et peut-être surtout, de par l’intrication d’enjeux socio-politiques, éthiques et épistémologiques qu’elles contiennent et ce dans deux dimensions principales. Tout d’abord, de par la tentation hygiéniste en médecine que les historiens connaissent bien et dont le traitement des data viendrait fonder la dernière mouture d’une « épistémè computationnelle » séculaire (selon la formule de Mathieu Corteel) dont il convient de se demander en quoi elle est susceptible de renouveler la psychiatrisation du malheur social.
La seconde dimension des questions complexes de psychiatrie et santé mentale exigeant une réflexion transdisciplinaire aujourd’hui liée à la numérisation du monde, est celle des représentations du substrat, de la hylè supportant le psychisme et avec elle de la place faite aux chaines de déterminismes supposés l’affecter. En effet ces représentations viennent conditionner les orientations de la recherche et de là le recours aux néotechnologies, à moins que, bioéconomie faisant, ce ne soit l’accessibilité des options technologiques qui sélectionne les investissements de recherche confortant les modélisations opératoires.
Pour ancrer ce large programme de recherche transdisciplinaire dans un terreau de réalité, nous essaierons de montrer en quoi, face à la pandémie de Covid-19, les techniques psychiatriques employées dont la résilience est une qualité intrinsèque spécifique, éclairent le hiatus entre les soins et la recherche à l’horizon sans cesse repoussé d’une psychiatrie de précision.

Texte issu d’un webinaire ayant eu lieu le 30/11/2020 (voir plus d’informations).